Les vieux

Quand MilliSidi était petite, j'avais remarqué qu'elle attendrissait les femmes : entre 12 et 99 ans, elles faisaient en général un sourire, ou une remarque souvent gentille. Je me souviens notamment d'une vieille dame qui s'était penchée vers l'intérieur du landau et m'avait dit : "Je vous souhaite beaucoup de plaisir avec cette petite fille".

Les hommes, par contre, c'était pas leur truc. Avec une poussette, je suis tout bonnement invisible - oui parce que sans poussette, les hommes se pendent à mon sac à main en poussant des cris rauques. Conditionnement social, quand tu nous tient.

Sauf les vieux. C'est arrivé souvent qu'un vieux monsieur regarde la petite en souriant, sans parler. Comme s'il s'y autorisait après avoir regardé ailleurs pendant longtemps. Comme si ça lui faisait du bien.

J'ai repensé à ça l'autre jour, en discutant avec le père de ma copine Pascaline. Il a 70 ans, jamais changé une couche de sa vie, et sans doute souvent mis les pieds sous la table. Un monsieur tout simple, qui ressemble plus à Michel Galabru qu'à Bernard Henri-Lévy.

On parlait de Pascaline, dont le deuxième bébé ne dort pas encore très bien la nuit, et il a dit : "C'est vrai qu'elle est pas épaisse, Pascaline. C'est quand même fatiguant pour elle tout ça. Les hommes, quand on travaille, on s'en rend pas bien compte".

Il l'a dit doucement, avec un accent que je connais bien parce qu'on vient du même coin, et comme s'il avait voulu prendre pour lui la fatigue de sa fille. Peut-être en regrettant de n'avoir pas su prendre la fatigue de sa femme, autrefois.

"Elle est pas épaisse". Ça m'a émue. Je me demande si tous les grands-pères regardent leur fille avec ce mélange d'inquiétude et d'admiration.