La vie mode d'emploi - 3

Je n'ai pas pu résister bien longtemps à l'appel du billet sur la tasse isotherme.

J'en ai acheté une juste avant d'avoir mon premier poste d'instit, et c'est devenu mon doudou professionnel. Je la remplis de café (qui arrache) en partant de la maison, et comme je ne recule devant aucune sophistication, je complète avec le café filtre de l'école (qui arrache nettement moins) quand j'arrive, ce qui me permet de boire allégrement mon demi-litre de café, sans toutefois mourir d'un infarctus vers 11h tous les matins, vu que mon savant mélange constitue un café arrachant juste ce qu'il faut pour me réveiller sans me trouer l'estomac.

En classe, je me balade avec ma tasse quand je circule dans les rangs ; ça me détend, je suis à deux doigts d'enlever mes pompes et de me vautrer sur un canapé. Bon, ça ne dure pas, rapport que tasse isotherme ou pas, il y a toujours un Malcom pour faire des roulades sous les bureaux. Mais quand même, si j'ai une tasse isotherme dans la main, bande de petits morveux, c'est que je suis une adulte. Et que c'est moi le chef. (J'ai besoin de m'en souvenir plusieurs fois par heure, sinon je pourrais être surprise à lancer des capuchons de stylo sur Malcom pour le faire taire.)

Parfois, enfer et damnation, je perds ma tasse. Je la cherche discrètement des yeux, je me retiens d'engueuler Victor dont la tête m'empêche de voir si je n'aurais pas laissé le précieux objet sur l'étagère du fond, et finalement je craque  : "les enfants, stop, est-ce que quelqu'un a vu ma tasse ?". Ca marche à tous les coups, ils savent toujours où elle est ; si seulement la localisation de la tasse isotherme était au programme de CP, je mériterais le prix Nobel de pédagogie 2015.

En récré, je tiens la tasse dans la main gauche, les lunettes de Pauline dans la main droite, et quand Malik arrive avec sa gourde de compote-à-boire-tu-peux-m'ouvrir-maîtresse, ben il faut que je pose le tout par terre pour ouvrir le capuchon récalcitrant. Pas grave, parce qu'avec un peu de bol il reste du café en salle des maîtres, et j'en reprends un peu pour la route.

Hélas, l'éducation nationale étant un sacredoce, il m'arrive de frôler la mort dans l'exercice de mon métier : j'ai fait deux ou trois crises cardiaques, quand la tasse mal fermée dans mon sac a fui sur les cahiers des élèves ; sans compter la brûlure au cinquième degré le jour où j'ai enfilé ma veste en levant bien haut le bras qui tenait la tasse - tasse évidemment grande ouverte - ou comment prendre, en pleine classe, une douche au café.

Le premier jour des vacances, je la range en haut du placard et je l'oublie un peu. Demain matin, elle reprendra sa place dans mon sac, et elle me réchauffera les doigts sous le préau pendant que je regarderai les élèves arriver.

Comments

[reyhaziel]

Jeter des capuchons de stylo ? Mais c'est rien ça. J'ai un collègue, il balançait ses craies sur ses élèves trop bruyants. Un jour, passablement énervé, il a même oublié que c'était l'effaceur du tableau qu'il avait à la main et c'est lui qu'il a balancé. Bon, en même temps, ses élèves sont étudiants et ils ont de bons réflexes (et puis l'habitude aussi !). Comme quoi, t'as de la marge.

A part ça, comment t'arrive à boire ton café dans ta tasse isotherme ? Non parce qu'une fois de plus, je suis béate d'admiration. J'en ai acheté une aussi de tasse comme ça qui a fini au fond d'un placard parce que la seule chose que j'arrive à faire avec, c'est me brûler la langue que je sens plus rien pendant 2 jours au moins ! Ah non, j'arrive aussi à systématiquement renverser autant de café sur ma robe que j'arrive à en mettre dans mon gosier ! Si t'as un secret, faut absolument le partager (parce que je suis sûre de pas être la seule mais que les autres, ben ils osent pas l'avouer).